Le président de la CFE-CGC, François Hommeril, porte un jugement sévère sur la responsabilité du gouvernement dans le mouvement des « gilets jaunes ».
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Pour François Hommeril, la crise révélée par la mobilisation des « gilets jaunes » va bien au-delà des seules personnes mobilisées sur les ronds-points et concerne l’ensemble des classes moyennes. Pour sortir de cette impasse, il plaide pour une relance des salaires.
On n’a pas vu beaucoup de cadres chez les « gilets jaunes », mais vous avez pris position pour ce mouvement. Vous ne craignez pas d’être en décalage avec votre base ?
Dès le début du mouvement, fédérations et militants m’ont fait part d’un fort courant de solidarité chez nous, au-delà du nombre d’adhérents de la CFE-CGC présents. Ce mouvement a fait apparaître au grand jour un mal profond qui s’est installé dans la société depuis 40 ans. Il a trois causes. La première est le déclassement salarial qui s’est installé depuis la désindexation des salaires engagée dans les années 1980.
Vous faites comme s’il n’y avait pas eu de gain de pouvoir d’achat…
La part des salaires dans le PIB a décroché. La preuve : le SMIC, corrélé à l’inflation, a petit à petit grignoté les grilles salariales des conventions collectives, réduisant d’autant les progressions de carrière. La deuxième raison de la crise est l’explosion du coût du logement qui a laminé le pouvoir d’achat.
Et enfin, troisième effet, le coup de massue fiscal Hollande-Macron qui débute en 2012 et culmine en fin d’année quand se déclenche la crise. Les cadres ont vu leur pouvoir d’achat fondre en cinq ans. Le malaise dépasse les Français qui ont occupé les ronds-points, il concerne l’ensemble des classes moyennes ; des gens installés, qui ont fondé une famille, se sont investis dans le travail pour vivre mieux mais n’y arrivent plus. Là, vous ne pouvez plus aller au cinéma, ici, vous restreignez les restaus aux grands moments. C’est très dur, voire critique pour les plus modestes, mais il y a un continuum dans le déclassement salarial.
Le mouvement n’est-il pas aussi l’échec des syndicats ?
Les salariés de petites entreprises ou isolés sont surreprésentés chez les « gilets jaunes ». Cela valide au contraire le fait que là où les syndicats sont présents, le corps social arrive à vivre. Si ce mouvement est le signe d’un échec, ce n’est pas le nôtre. Je suis le président d’un syndicat qui ne fait que croître en audience et en adhérents.
Ce qui a été mis en échec, c’est le contrat social qui faisait que le pouvoir issu des urnes élaborait le cadre de ses réformes sociales avec les corps intermédiaires. Enfermé dans la « panic room », ce gouvernement, avec sa majorité aux ordres, a été atteint de cécité profonde, refusant de voir la profondeur du malaise. Cet échec, c’est celui du pouvoir avec, de manière emblématique, son attitude sur la réforme de la SNCF dont l’unique objectif a été de tuer le statut.
Pour négocier, il faut être deux. C’est vrai avec le gouvernement. C’est vrai aussi avec le patronat, autre partenaire naturel de la CFE-CGC et des autres syndicats dits « réformistes ». Mais cela ne veut pas dire que les « gilets jaunes » ne nous interpellent pas, nous syndicats, sur nos méthodes de travail et notre capacité à représenter les salariés d’aujourd’hui.
Malgré le contexte explosif, les syndicats n’ont réussi qu’à accoucher d’une déclaration sans grand contenu…
J’ai appris avec le temps à être patient. Ce qui apparaît un jour comme un échec peut contribuer à une réussite plus tard.
Que pensez-vous des mesures annoncées par l’exécutif en réponse aux « gilets jaunes » ?
Que la réponse du gouvernement à la crise n’est pas la bonne. Dans le public comme le privé, les mesures annoncées vont-elles mettre fin à la modération salariale ? Bien sûr que non ! Qui va toucher la fameuse prime exceptionnelle ? Les salariés des entreprises où il y a le moins de problèmes salariaux. Est-ce qu’on va la verser dans les Ehpad ? Bien sûr que non ! Et je ne parle pas des fonctionnaires qui n’auront rien. Chez eux, avec le gel de la valeur du point, le déclassement salarial est général.
Le gouvernement lance aussi un grand débat…
Je ne crois pas qu’il en sortira des solutions. Le gouvernement met en exergue son choix d’engager les discussions dans les territoires. Mais le problème des « gilets jaunes » n’est pas un problème de diversité territoriale : il s’est exprimé avec une même force partout. Et puis le logement, par exemple, n’est pas au programme. Ce débat est une stratégie d’évitement. Si j’étais un peu disruptif, je rappellerais l’après-guerre où ont été prises des mesures salariales modifiant la répartition de la valeur ajoutée. Cette question est centrale, ne pas l’aborder est la meilleure garantie de ne rien régler.
L’exécutif a-t-il, selon vous, les moyens de continuer ses réformes ?
La réforme la plus attendue en 2019 est celle des retraites . Bien malin celui qui sait ce que va faire Emmanuel Macron en la matière. Pour ma part, je pense que c’est une réforme inutile dont on pourrait parfaitement se passer.
Croyez-vous à un accord sur l’assurance-chômage ?
La probabilité est la même qu’en septembre, faible. Mais la nécessité d’y parvenir, elle, a augmenté parce que le mouvement des « gilets jaunes » a remis en question la capacité des partenaires sociaux à apporter un résultat utile pour la société. Ce serait donc un comble que nous n’arrivions pas à un accord. Compte tenu du contexte, le gouvernement dispose de peu de marges de manoeuvres pour l’invalider, comme il l’a fait sur la formation. Cela nous donne un peu plus de liberté, donc un peu plus de responsabilités.
Allez-vous ignorer l’exigence posée par le gouvernement de réaliser 1 milliard d’euros d’économies par an ?
Les dépenses de l’Unédic représentent 35 milliards par an. On peut les réduire sans économiser sur les droits des chômeurs en travaillant sur le budget de Pôle emploi et sur les moyens des agents pour aider les chômeurs à retrouver plus vite du travail. Par ailleurs, ce qui coûte le plus cher à l’Unédic, hors Pôle emploi, c’est l’abus par certains employeurs et certains salariés, dans certains secteurs, des dispositifs de recharge des droits : 4 à 8 milliards par an. C’est là qu’il faut taper.
Comment réguler ces abus ? Le patronat veut des négociations de branche.
Si la négociation échoue, le gouvernement imposera un bonus-malus. Il n’y a pas d’autre solution que systémique, il faut alourdir le coût des contrats courts pour que le bénéfice économique tiré de la précarité disparaisse. Le patronat défend les accords de branches , pourquoi pas, cela éviterait d’imposer des règles indifférenciées.
La négociation sur l’encadrement est au point mort. Vous n’avez pas l’impression de vous être fait avoir en signant l’accord sur les retraites complémentaires ?
Ce sont les entreprises qui se font avoir. Il est indispensable de retravailler cette notion. Le dernier accord sur le sujet date de 1983. Depuis, le monde du travail a profondément changé. Le Medef n’a rien compris. Geoffroy Roux de Bézieux est entouré de gens qui, par principe, ne veulent plus négocier quoi que ce soit. Il dit qu’il ne sait pas ce qu’est un cadre. Je suis prêt à lui expliquer.
Les Echos du 7/01/19
Propos recueillis par Leïla de Comarmond et Alain Ruello